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JE N´AVAIS LAISSÉ AUCUNE TRACE...


J´avais éliminé méthodiquement tout indice de ce run secret...ce run qui n´appartient qu´à moi...Rien, pas même les légères traces de boue sur la semelle blanche de mes Hi-Tec (ne cherchez pas, vous ne trouverez absolument aucune référence sur le net, ou peut-être en cherchant bien, un cahier des charges de fabrication (PDF) rédigé en sri-lankais...).

L´examen clinique de l´appartement ne laissait guère entrevoir qu´un run clandestin avait été perpétré dans les heures précédentes... c´est du moins ce que je croyais...

Remettons les choses dans leur contexte : j´étais censé être malade...porté pâle pour un repas d´équipe avec les collègues de bureau de Frau RunRun... "Frau" (prononcée Frâooo, est la manière la plus douce de dire "Madame" en Allemand...), parce que oui, j´habite à Berlin et précise que je n´aime pas forcément la musique électronique et les murs.

Cette soirée donc, dont j´ai déjà connu et subi plusieurs éditions... ces soirées où chacun reste bien urbain...ces soirées où il est peu aisé de montrer son état de fatigue...il en va de la réputation de la Dulcinée...alors je me donne corps et âme, je tente de briller dans la langue de Goethe, je trébuche, c´est charmant et je le sais... Mais je suis fatigué...je n´en peux plus...je travaille 8h avec cette langue, que j´adore puis abhorre dès lors que je n´ai pas mon quota de sommeil. Par chance...je m´adonne pendant la journée à des lectures, elles aussi clandestines, et me reglisse (pas les Haribo) dans le lit douillet de la langue française : les 10km furieux ou encore les pérégrinations métaphysiques de Daddy the Beat par exemple...j´ai béni ce dernier texte, en ai fait mon mantra, ma prière…j´ai juste changé quelques mots, quelques visages, quelques éléments de l´histoire...notre histoire.

Je décide donc de ne pas me rendre à ce repas. Le dimanche précédent, Mme RunRun avait participé au Berlin-Marathon-Staffel, une sorte de marathon par équipe absolument bordélique, surtout lors des passages de relai. Certains courent en individuel, d´autres non, tout le monde semble courir en même temps...j´étais juste là pour accompagner... grosse erreur ! : en plus de la terrible frustration de ne pas en être, les latitudes continentales de la ville précédemment citée n´ont pas épargnées le runner emmitouflé qui tente actuellement de ne pas perdre le fil de cet article.

Le lendemain, réveil compliqué, gorge incendiée et la perspective toute décrite de ce repas d´équipe prévu de longue date (je rappelle que nous sommes en Allemagne et que la réputation d´un "peuple organisé" n´a parfaitement rien de légendaire)...je me défile, donc...Arrivé dans mon humble demeure après le boulot...je me détends, bois un thé pour la gorge...puis vient cette idée saugrenue, qui arrive au loin....par le derrière de la tête, comme une horde de soldats en route vers de terribles desseins... Cela me rappelle les sombres humeurs de la Ligne Rouge (épique !)...

"Non! Tu ne vas quand même pas oser ! Tu es malade, voyons ! Mais enfin, ce n´est pas raisonnable !

- Seule la gorge est touchée, mère Raison...et si je n´m´abuse, je n´ai à ma connaissance encore jamais rencontré un runner courant avec cette partie du corps (ou alors en de très rares et extrêmes occasions!)"

Mon argument est implacable, pensais-je en lassant mes Hi-Tec Haraka (après recherche, ça fleure la chaussure de seconde zone vendue en Angleterre). Fractionnés 5 x 1km sur les bases du 1er km. On verra. Après échauffement, je me lance... À ce moment précis, je comprends que la gorge est peut-être un organe qui affaiblit possiblement l'ensemble du corps, une sorte de point d´équilibre qui détermine l´état de forme. Je fractionne seulement jusqu´au 3ème km...puis repars une petite demi-heure en mode "confort"...

Mère Raison : " je t´avais pourtant prévenu...

RunRun : Ferme-là"

Je rentre donc, un peu péteux. Gainage, pour la forme et surtout pour admirer ce corps meurtri, éreinté, voire christique, se perdre dans de vilains efforts (looooooool...)

Madame RunRun n´est pas encore rentrée. Cela me laisse le temps d´effacer les empreintes : vêtements projetés dans la machine, brassière passée au sèche-cheveux et remise à sa place, chaussures sommairement nettoyées ("sommairement", pour plus de réalisme), runner ne portant aucun stigmate visible à l´oeil nu... Tout était savamment effacé, éradiqué, élllllllllllllliminé : le hasard n´a pas sa place dans la vie d´un runner de haut vol... (mon plus haut vol remonte à une semaine, sur une fin de course nocturne et un virage négocié bien trop tôt...)

J´entends la clé se glisser dans la serrure, la Belle arrive, elle sourit. Elle se retourne pour fermer la porte derrière elle et voit l´objet du délit : la TRACE tant redoutée, l´oubli, la naïve omission, l´erreur de débutant, la clé à demie enfoncée dans la serrure. Clé dénuée de toutes ses bricoles fantaisie.

1 anneau, 2 clés, forme minimaliste du trousseau du runner, artefact primitif et fonctionnel, que l´on peut caser dans la poche arrière prévue à cet effet.

Elle l´a vu, elle le sait, elle sourit...

Elle m´a vu, elle me sait, et l´on rit...

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