ZÁTOPEK, L´HOMME-COURSE
Zátopek...
Allez-y, prononcez ce nom à haute voix...
C'est à la fois drôle, dynamique et absurde. C'est comme la première fois que l'on boit de la limonade.
Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, Emil Zátopek est considéré comme le père de la course à pied moderne, un coureur hors-norme et entre autres, une véritable légende.
1,82 m pour 78kg, sec, il est l'archétype du coureur contemporain (européen). Nous sommes bien loin des vifs Ethiopiens comme Kenenissa Bekele (1,62 m pour 59 kg) ou le non moins légendaire Haïle Gebrselassie (1,64 m pour 53 kg).
Comment ce fils d'apiculteur, né en 1922, travaillant dans une fabrique de chaussures, est-il devenu cet athlète auréolé de grâce et de triomphe ?
Le coureur de fond Zátopek est né au cours de la Seconde Guerre mondiale en 1941, à l´occasion d´une course organisée par son entreprise, la "course à travers Zlín", à laquelle il participe sous menace de renvoi. Ce renvoi suppose que les Allemands pourront l´embaucher par la suite, comme main d´œuvre bon marché.
Avant la course, il simule une blessure qui ne convainc personne. Rien ne laissait entrevoir le destin incroyable de ce modeste ouvrier. Il s´aligne donc au départ et finit deuxième. Il prend alors goût à la course à pied. De nombreuses anecdotes entourent sa légende, comme celle d'avoir couru dans les forêts tchèques lourdement enneigées, chaussé de bottes plombées, et ce, dans l'unique but de ne plus sentir ses chaussures le jour de la course.
Il serait injuste de parler de Zátopek sans évoquer son invention majeure dans le domaine de la course à pied : les intervalles.
Interval Training, fractionnés, fartlek,... nommez-les comme vous le souhaitez, les nuances sont nombreuses et les puristes ne se sont toujours pas mis d'accord.
Notre homme a été l'un des premiers à s'adonner aux plaisirs du changement de tempo. Il déjoue la régularité...il court comme les mains d'un pianiste de jazz sur les touches du piano. C'est aussi ce qui rend ses courses aussi légendaires, ce goût pour la rupture, le break, la syncope mètrique...Zátopek s'escrime jusqu'à atteindre une section rythmique parfaite. Il porte en lui un singulier métronome, qui tape aux creux de ses tempes et fait vibrer sa cage thoracique comme une cathédrale. Pour s'exercer Zátopek se lançait jusqu'à 100 répétitions de 400 m, juste pour s'entraîner, je vous laisse faire le calcul... Aussi pétaradant que son nom, il finissait ses courses dans un drôle d'état.
Les internets pourront vous fournir maints éléments biographiques de Zátopek, décrivant la générosité du bonhomme, se liant d'amitié avec ses concurrents, offrant l'une de ses médailles d'or à l'australien Ron Clarke, "parce qu'il la méritait", son talent pour les langues étrangères, ses entraînements obsessionnels, incompréhensibles, démesurés, son engagement politique et toutes ces petites histoires qui ne peuvent nous convaincre que d'une chose : Zátopek est un type bien.
Chaque héros tente de dissimuler les facettes les plus sombres de son histoire. Mais Zátopek irradie et il est étonnamment difficile de débusquer le Mister Hyde qui pourrait se cacher en lui.
En dehors de cette personnalité rayonnante, Emil Zátopek est peut-être le dernier maillon historique entre le champion fabuleux et le sportif amateur. Question d'époque...Zátopek court en des décades où le sport est un rêve populaire, un remède de médecin de famille pour garder la santé. L'activité physique et sportive a même été un instrument de propagande lors des heures les plus sombres de l'Europe. Son style de course peu conventionnel, parfois cartoonesque, fait rêver les petits et les grands. Tout le monde a le sentiment de pouvoir courir comme Zátopek.
Zátopek court avant que le sport ne devienne professionnel. Il n'est pas ici question de faire le procès de l'argent dans le sport, mais les images de l'époque ont cette naïveté touchante, propre à la découverte, la candeur de ses visages enchantés dans le public...
Il suffit de voir les images fascinantes de Zátopek se livrant de tout son corps à l'effort, le visage tordu par ce déchaînement d'énergie, agonie du noyé pourtant debout, les bras en arceaux, pour vivre avec lui la distance. Il est beau à voir. Il interpelle, il convoque un rappel au corps, à sa force et à sa faiblesse. Quelle que soit la distance entre le point A et le point B, ce sera toujours le chemin qui compte. Au fil des kilomètres, le corps devient plus lourd, le coureur s'enfonce en lui-même, son esprit et son corps doivent s'arracher du sol, attirés tous deux par le centre de la Terre en fusion.
Au-delà de la performance pure, Zátopek dessine la figure mythologique du coureur de fond, traçant un petit chemin sinueux sur le globe. La distance n'a plus d'échelle sur la carte de Zátopek, l'homme court, jusqu'à la fin des temps, jusqu'à la fin du noir et blanc.
Pour aller (encore) plus loin avec Zátopek :
Zátopek perd d'une courte tête après un retour fracassant (images recolorisées, simplement fascinant)