Pour toi public(s) !
Ce soir-là, Monsieur durrunda était de concert… le groupe s´appelait Caribou. Mais il préfère rapporter ici un autre aspect de cette expérience musicale.
Quel plaisir que celui d´observer un public, plongé dans l´obscurité, ces visages éclairés par la seule lumière de ce qui se produit sur scène. C´est à la fois beau et effrayant, cette foule, ce regard uniforme, toutes ces têtes qui pensent et formulent des images au même instant.
Plongé dans le noir, ce public.
Cette tradition de spectacle remonte à Wagner paraît-il. Il aurait décidé d´éteindre toutes les loupiotes pendant ses concerts, pour calmer et fixer l´attention du public sur ses œuvres. Si bien que plus personne ne pouvait feuilleter élégamment le livret, ou toiser ses congénères sur la qualité de leur toilette. Gonflé et radical, prétentieux, et pas qu´un peu…on le connaît le Richard.
Y´a pas à dire, c´est une réussite.
Toutes les formes de spectacles vivants actuelles ont adopté cette bienséance, si bien que les œuvres portées sur scène ou sur l´écran revêtent une importance toute nouvelle, un espace d´écoute que l´obscurité impose ! C´est une prise d´otage, où même les œuvres les plus faibles et creuses auront leur chance à présent. Merci Wagner. Demandez aux artistes de rue qui jouent en plein jour, si le public est toujours aussi discipliné ?
À titre de petit hommage, j´aimerais proposer une rapide et grossière typologie des publics…je m´y risque, juste pour le plaisir de ne pas être exhaustif…voici du moins ceux que je remarque :
Le public « alternatif » : souvent debout, bruyant, mouvant, balançant, émotif, indiscipliné, ce public est néanmoins le parallèle parfait de la sélection naturelle, les plus grands triomphent et jouissent sans scrupules de leur « haute » condition, les premiers arrivés seront les premiers à se servir, l´intelligence de s´organiser en société est ici orpheline, les plus petits sont les plus faibles, ils se contentent des trouées se formant furtivement dans cette forêt de têtes. Ce public boit généralement de la bière. En grosse quantité.
Le public « classique » : sait à quel moment applaudir. Initié, ses joies sont intériorisées, et sa coiffure bien en place. Les directeurs d´opéra aiment à les nommer affectueusement « les têtes blanches » en raison de leur grand âge. Ce public est assis (parfois définitivement).
Le public de théâtre : peut-être celui qui compte le plus de sous-catégories et de nuances. Les grands textes ont la vie dure en compagnie d´un public inattentif, un public d´automne qui se mouche, un public enrhumé. Il y a aussi ces publics qui viennent s´achever au creux des sièges de velours, rincés, après une journée de boulot harassante, tentant en vain de se concentrer sur Beckett. Accrochez-vous, les acteurs voient que vous baillez.
Le public de « cinématographe » : le seul autorisé à s´alimenter pendant le spectacle, sans créer de réel scandale (Art & Essai, évitez quand même), chuchotant, bécotant, tripotant, ventripotent. Public pouvant être dissipé, fasciné ou carrément endormi. Merci Wagner pour cette délicate attention…et douce nuit.
Le public "contemporain" : est amateur de performance barrée, où le plasticien le convoque à 5h du mat' pour lui faire vivre une expérience sensorielle. Ce public se refuse à y comprendre quoi que ce soit, il est là pour voir de la fesse, des cris, du sulfureux, de la critique, du brutal, pour se prendre sa dose de "références", ou tout simplement pour y croiser des amis. "Voir du "beau" ? Non, non, c'est vraiment surfait le beau, c'est fini le beau". Niveau éclairage, ce public préférera un bon néon blafard. Richard, n'oublie pas tes Ray-Ban.
Le public payé : sourit toute la soirée en pensant à son chèque, veut se lancer dans le mannequinnat ou présenter la météo, n'a qu'une fonction décorative.
Le public "fan" : n'est pas objectif, flingue la moitié des morceaux en chantant en coeur, n'a aucun recul sur lui-même au sujet de son talent, étire les voyelles en poussant des cris hystériques, et perd parfois sa dignité en ramassant des objets peu ragoûtants de la part des idoles (serviettes, bouteilles, mouchoirs, prothèses).
Le public cueilli : est là par hasard. Il accompagne l'un des publics précités et prend une véritable claque artistique. L'effet de surprise y est peut-être pour beaucoup, mais cette rencontre entre l'état d'esprit du public et ce qui se joue sur scène est une sorte d'histoire d'amour.
Le public parfait : n'existe pas.
Ce soir, je faisais partie de ce public ondulant, courant « alternatif », tête gambergeant parmi les têtes rêveuses. Ce public qui n´a peur de rien. Les mains claquent, les sifflets enthousiastes fusent, ça tape du pied, ça hoche la tête en rythme, les plus à l´aise allument une clope, petite épidémie de points rouges incandescents dans la salle obscure... les spots de la scène viennent transpercer les espaces vides et noirs qui enrobent le public, éclaboussures de lumières sur les visages enchantés, ennuyés, concentrés, la musique nous entoure.
Nous sommes cernés.
Merci Wagner.
Durrunda
Entre ombre et lumière, choisissons pour une fois la lumière avec le titre "Sun" de Caribou.
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